Réflexions pour un lendemain meilleur

Avril 2010

Mise en contexte

Au lendemain du 12 janvier la vie nationale a basculé et le système sanitaire avec. La pratique médicale, un volet de la vie nationale, n’échappait pas à la règle : le médecin où qu’il soit, s’enlisait dans cette nouvelle dynamique qui paraissait vouloir lui imposer de nouveaux concepts. A l’H.U.E.H., l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti, plus précisément au Service de Pédiatrie, la réalité s’était métamorphosée.

Fig 1: Le Service de Pédiatrie de l’H.U.E.H. après le 12 janvier 2010

Introduction

Dès le 13 janvier compte tenu des sérieux dommages du bâtiment (fig. 1) abritant entre autres, les différents secteurs de soins pédiatriques, les bureaux des Chef de Service et Infirmière en Chef, les chambres des Résidents, l’Aide humanitaire Suisse mettait sur pied de nouvelles structures d’accueil. Les tentes ainsi installées, allaient tout d’abord et pendant un certain temps, accueillir les différents types de traumatismes découlant du tremblement de terre. Mais bien vite, le besoin pédiatrique coutumier avec ses problèmes  réclamant ses droits, le nombre de  tentes a  du augmenter. Un nouveau concept s’introduisait : le secteur mère-enfant. Aujourd’hui, le « Service de Pédiatrie » comprend une tente dédiée à l’isolement, une tente regroupant le personnel des archives, une tente pour l’exécution du programme de prise en charge et de suivi des malades du Sida,  3 tentes d’hospitalisation pour nourrissons, enfants et adolescents, une tente pour les nouveau-nés à termes et prématurés, une tente accueillant les urgences, deux tentes abritant une unité de soins nutritionnels, deux autres  desservant les consultations externes et trois tentes regroupant les patients traumatisés et opérés. Les deux autres tentes affectées aux accouchements et à la période de post-partum concrétisant cette nouvelle vision « mère-enfant », allaient être évacuées, le Service d’Obstétrique Gynécologie ayant regagné ses locaux.

La problématique

Aujourd’hui, trois mois après notre « nouveau démarrage », nous retrouvons un bâtiment jugé irrécupérable par les différents groupes d’experts, lequel bâtiment, un de ces matins devra être démoli. L’acte exigera nécessairement une évacuation de l’environnement immédiat, le secteur de soins pour les nouveau-nés à termes et prématurés et une des tentes d’hospitalisation,  se trouvant à moins de 100 mètres de l’édifice principal.

Le secteur (ou plutôt la tente) de soins pour nouveau-nés vient de vivre une cruelle expérience (qu’on pourrait intituler : chronique d’un malheur inévitable) : des 13 admissions au cours du mois d’avril, 11 sont décédés (les parents des deux survivants ont jugé bon de les réclamer), les soins néonatals ne se concevant pas sans ce besoin de base qui est l’accessibilité (ininterrompue) à l’eau courante, une gestion de la circulation et de l’environnement. La disponibilité de gel bactéricide (jusqu’ici utilisé comme recours à l’inexistence d’accès à l’eau courante)  avait permis de contourner  le lavage systématique avant et après la manipulation du nouveau-né. L’utilisation intempestive d’incubateurs non préparés (nettoyés et désinfectés après un décès)  par certains membres d’équipes non identifiées, a entre autres choses, contribué à la gestion difficile de la prise en charge.

Le « bloc orthopédique/chirurgical » fonctionne difficilement. L’équipe Chirurgie/Orthopédie (Médecins, Infirmières, Résidents) se retrouvant sur « deux sites » de fonctionnement, parvient non sans peine à honorer ses responsabilités. Les dernières consultations et évaluations médicales (en dehors des récentes interventions du Chef de Service de l’Orthopédie, le Dr Pierre-Pierre) remontent au 17 Avril. La plupart des patients hospitalisés sont admis au lendemain du séisme. Le groupe Handicap International, véritable cheville ouvrière  au niveau de ce secteur se retrouve  à gérer un peu plus que la réhabilitation physique. Aujourd’hui, certains patients attendent des notes de sortie.

La tente des urgences pédiatriques est dépassée vu le nombre de patients et la diversité des pathologies. Elle est mal structurée, ne répondant pas à l’environnement  indispensable pour la gestion des exigences de la gente infantile.  Certains équipements reçus en don et indispensables à la prise en charge de certaines situations cliniques, sont à risques puisqu’ils sont stockés sur place dans un espace commun avec les patients et leur famille. Cet après midi l’équipe de garde n’est plus en mesure d’accueillir de nouvelles admissions, faute d’espace disponible.

Une rigole traverse les différentes tentes d’hospitalisation; les parents n’hésitent pas à l’utiliser pour déverser leurs récipients. Une chaleur insupportable porte les parents à soulever les parties latérales de ces tentes, installant pratiquement les patients hospitalisés, directement sur la cour de l’hôpital. Cette température intolérable vers la mi-journée déstabilise les rares incubateurs  encore fonctionnels. Les mouches font aussi partie du décor, compte tenu de l’insalubrité entretenue par les habitudes établies par les parents omniprésents.

La consultation externe se fait au niveau des premières tentes rencontrées en arrivant au niveau du « Service ». Peut-être devrait-on ajouter une, pour les patients qui peinent debout sous le soleil, avant d’être vus par les Médecins sur place.

Le personnel Infirmier est logé au fin fond de la cour dans une ancienne cuisine qui a su résister aux épreuves du 12 janvier.

La clôture donnant sur la rue Monseigneur Guilloux n’est autre qu’une rangée de barbelé et mériterait d’être renforcée.

Une douche de fortune s’est instituée au pied du bâtiment endommagé : sans  manifestation aucune  de gêne ou de pudeur, femmes et hommes, utilisent la tuyauterie pour un bain ou une toilette.

Le concept mère-enfant : la toile de fond pour de meilleurs soins

On aurait pu dire que le concept mère-enfant, existe depuis bien longtemps chez nous en Pédiatrie. En effet (bien avant cette période post séisme) une visite dans nos différentes salles d’hospitalisation au cours d’une garde, révélerait l’étalage des parents (en dessous des lits des enfants et adolescents, à côté des lits des nourrissons et nouveau-nés). Aujourd’hui avec l’utilisation de lits d’adultes dans la majeure partie de nos tentes, les mères (et pères) se retrouvent d’emblée aux côtés de leurs progénitures (fig.2)

Fig 2: Une mère et son nouveau-né

Cependant l’esprit mère-enfant est à construire, car pouvant renforcer les soins. Il est prouvé que la présence parentale apporte ce complément psychologique nécessaire à toute thérapeutique adressée à la gente infantile.

Fig. 3 : Vue du Secteur Orthopédie/Chirurgie

L’établissement de ce concept passe par un réaménagement de l’espace disponible. Pour le moment  une meilleure gestion du secteur Orthopédie/Chirurgie (fig.3) ne peut être faite que dans la proximité de ces Services, en attendant la réalisation de  ce concept plus large et l’intégration future après la reconstruction.

Figure 4 : Unité de soins nutritionnels (vue extérieure)   

Figure 5 : Unité de soins nutritionnels (vue intérieure)

En reprenant des modèles comme ceux de la future salle d’Anatomopathologie ou des salles de l’Unité de soins nutritionnels (fig. 4 et 5), prenant en considération le profil de la fréquentation actuelle du « Service », un secteur pédiatrique pourrait ainsi être érigé permettant d’attendre patiemment l’élaboration et l’exécution d’un plan optimal pour la dispensation des soins (sans oublier que le démantèlement des tentes existantes viendrait garantir l’accès pour la démolition du bâtiment pédiatrique endommagé). La solution a moyen terme serait  la construction d’une clôture (entre l’Hôpital et la rue Monseigneur Guilloux), le nettoyage et l’entretien de l’espace (initialement dédié à la gestion des eaux) le secteur pédiatrique adoptant une configuration pavillonnaire ; le secteur de Pédiatrie néonatale  se retrouverait au sein même de la maternité, au niveau de la salle des suites de couche (fig. 6), d’ailleurs un espace de prise en charge néonatale (fig.7) y existe déjà. Cet ensemble, mère et bébé, symboliserait déjà cette volonté de s’orienter vers cette option incontournable pour le bien être de nos enfants. Certes d’autres constantes devront être prises en considération, tels que les ressources humaines, le matériel et les médicaments, la para clinique, mais déjà en consacrant la présence d’un parent par enfant, dans des conditions acceptables pour les deux, l’H.U.E.H. s’engagerait dans cette indispensable réforme de l’approche thérapeutique qui devrait nous permettre de garantir des soins de qualité.

Fig.6 : Suites de couches 

Fig.7 : Salle de Néonatologie