Pour une politique institutionnelle de la recherche à l’Université d’État d’Haiti

30 juillet 2020 0 Par Dodley Severe

Réactions du Chef de Département de Pédiatrie

Docteur Dodley SEVERE

Port-au-Prince, le 30 octobre 2005

Mission de l’U.E.H

 L’Université par l’essence même de sa définition ne peut être autre chose que le fondement de la société. Le concept Université devrait pouvoir traduire les us et coutumes, les aspirations et les soucis d’une collectivité, et surtout définir et prévoir ses besoins. Cette lourde tâche impose une rigueur dans les approches et les orientations, lesquelles sont inévitablement soumises aux exigences d’un comportement scientifique fiable. Nous ne pouvons pas oser parler d’Université sans évoquer la recherche. Cette dernière reste et demeure l’ultime étape à franchir pour offrir la garantie de l’analyse permanente, de la critique pertinente et du jugement quasi infaillible, éléments piliers de toute société fonctionnelle. L’avenir de l’U.E.H. et pourquoi pas de notre société, passe inéluctablement par cette étape ; toute maturation de l’une comme de l’autre ne peut être qu’une finalité de la concrétisation de l’esprit de recherche.

Nous ne pouvons pas nous prononcer sur l’importance accordée au volet recherche dans le fonctionnement de l’Université en tant qu’un tout, cependant nous nous trouvons obliger de déplorer la « banalisation » d’un corollaire plus que logique, de la profession médicale. En effet à un moment où, notre société par ses contraintes socio-économiques et ses ambiguïtés sociopolitiques, confronte une situation sanitaire singulière, la Faculté de médecine, toute confuse, cherche encore sa véritable mission.  

Au sein de notre Département, qui n’échappe pas aux retombées néfastes de l’absence de définition formelle du concept de recherche, des dispositions purement personnelles sont entreprises depuis tantôt une dizaine d’années. Nous avons présenté au cours de diverses rencontres locales et étrangères des analyses et évaluations cliniques de la réalité sanitaire que nous avons eu la « chance de vivre » en notre qualité d’Assistant-Chef de Service de Pédiatrie à « l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti ». Plus d’une trentaine de papiers écrits malheureusement la majorité n’a pas circulé au sein de la communauté pédiatrique ; ce serait à nous de vous tirer une copie, ou tout au moins de vous référer à ces revues étrangères rapportant les travaux de ces congrès. Aucune publication locale disponible ou disposée pour des papiers, aucun appui du milieu hospitalo-universitaire et finalement nous nous demandons jusqu’à quel point ceux qui ont assisté (du point de vue local) ont porté un certain intérêt aux constatations et/ou conclusions découlant de ces présentations ?

La grande question qui en découle : ne devrions-nous pas penser à créer une culture de recherche dans nos milieux universitaires ?     

Mais ce n’est pas tout, ne passons pas à coté de l’essentiel : quid du concept hospitalo-universitaire (bien entendu, celui qui n’est pas tributaire d’un concept politique). L’enseignant en Médecine devrait avoir accès à un milieu hospitalier pour sa recherche. Existe-t-il une charte, un accord ou des principes établis, donnant cet accès systématique à l’Enseignant en médecine à un centre hospitalier universitaire ?

Problématique de la recherche

Doit – on « accuser » les conditions de naissance de l’U.E.H., ou devrait-on de préférence se pencher sur le profil de la structure existante et surtout, questionner la vision des « responsables » (tous niveaux compris) de cette Université.

Même en absence d’un idéal pensé, optant pour une « entité organique, un espace réunissant des facultés productrices d’un savoir autonome », n’aurait-on pas pu commencer par renforcer et soutenir toutes les dispositions initiales orientées vers une rationalisation de l’Université. Par exemple, pourquoi la démarche en cours a –t-elle autant tarder à s’exprimer ?

On ne peut nier que les relations inter facultaires et interdisciplinaires soient influencées par les conditions de naissance de l’U.E.H., mais toutefois, on doit, à ce niveau aussi, se demander en quoi ont consisté les tentatives d’uniformisation du statut de l’Étudiant (tronc commun, conditions et principes de fonctionnement identique, facilités logistiques.) et de l’Enseignant à l’U.E.H. Certes la dispersion géographique des différentes facultés rend difficile une approche unitaire, mais à partir de mécanismes et moyens divers (activités sportives, bibliothèque commune, tutoring..) un certain rapprochement pourrait déjà s’initier.  

Toute activité de recherche est appelée à solliciter une certaine interdépendance   en rapport avec la collecte, l’interprétation et/ou la gestion de données. « L’expertise » de l’Étudiant ou de l’Enseignant en Ethnologie pourrait avoir son importance dans un travail sur le Tétanos néonatal ; ceux de la Faculté des sciences dans un travail sur l’impact de l’environnement sur la Gastro—entérite ; une équipe de l’agronomie pourrait apporter sa contribution dans une analyse des conditions favorisant la Dénutrition.

Une formation en méthodologie de la recherche devrait être accessible à tous les Étudiants de l’Université. Aujourd’hui la majorité des Médecins Résidents en formation spécialisée présentant des « travaux de sortie » n’ont pas bénéficié de cette formation. Ces présentations, qu’on devrait considérer comme des ébauches de recherche, se font à partir de la bonne volonté de ces Résidents et de leurs responsables. Aucun encadrement technique et/ou budgétaire n’existe. Évidemment cette situation aussi, devrait porter les instantes dirigeantes de l’Université à définir leur rôle au niveau de la formation médicale spécialisée : jusqu’où et comment l’U.E.H devrait-elle intervenir ? Ne devrait-on pas prioriser une articulation entre les programmes de la faculté de médecine, les programmes de formation spécialisée et les objectifs sanitaires du Ministère de la Santé Publique et de la Population.  

  • L’U.E.H. et la demande sociale

La société civile est beaucoup plus prudente que mal disposée. Elle questionne l’Université sur son engagement et sa détermination à œuvrer en vue d’un épanouissement de la communauté nationale. Elle observe l’Université dans ses moindres gestes et réactions.

C’est à l’Université d’imposer son « statut » à partir d’un agenda objectif, dénoué de toute attitude simpliste. L’interprétation du statut d’Étudiant doit être sans équivoque : il ne peut être que reflet de l’avenir et par conséquent symbole d’espoir et de promesses. L’Enseignant doit être le model irréfutable, un guide et un gestionnaire dans une communauté.

Un esprit de recherche ne peut s’instaurer sans une concrétisation globale du concept d’autonomie, de l’application intégrale des principes d’éthique et de morale. A partir du moment que le Professeur doit subir les caprices et volontés d’une instance dirigeante ou encore pire du milieu estudiantin, il ne peut endosser ses obligations académiques qui consistent à garantir l’évolution rationnelle de son secteur ; de même que ce Professeur ne saurait ne pas tenir compte des priorités définies par les instances dirigeantes.

Une « décentralisation et une autonomie » ne peuvent que favoriser le développement de la personnalité universitaire. Le Professeur de Pédiatrie ayant soumis son projet de recherche au niveau de son Département, pourrait monter son équipe constituée d’Étudiants et de Médecins Résidents lesquels bénéficieraient non seulement de l’expérience, mais aussi, et pourquoi pas, de frais émanant d’un budget prévu dans le cadre du travail. L’Étudiant et le Médecin Résident apprendront ainsi à apprécier le volet recherche et aussi à valoriser le rôle de l’Enseignant. L’objectif de ce travail devrait avoir un impact non seulement sur l’enseignement de la spécialité, mais surtout sur la vie de la communauté (par exemple, l’impact de l’allaitement maternel sur la vie de la mère et de l’enfant). Mais pour que se modifie l’image publique de l’enseignant contribuant à la transformation et/ou à la vision de la société vis-à-vis de certains sujets, une divulgation de son travail est un impératif. Un engagement budgétaire formel de l’Université, dans le domaine de la recherche, s’avérerait incontournable.

Donc pour que l’U.E.H. puisse intervenir dans le champ social il faudra que Enseignants et Étudiants acceptent leurs responsabilités institutionnelles et morales réciproques. Il faudra, d’abord, que les Responsables (tous niveaux compris) reconnaissent que par devant la nation ils doivent répondre des éventuelles retombées de leurs limitations dans toutes projections, planifications et ou exécutions de leur mission. L’absence du concept de la recherche et l’affichage d’une indifférence à ce volet crucial de la mission de l’Université pourraient confirmer cette image au rabais du Professeur d’Université et aller jusqu’à compromettre le crédit (naturel) qu’on devrait attribuer à ce Professeur d’abord et aux instances dirigeantes ensuite.

Les contrats et engagements de la société civile viendront par eux-mêmes, à partir du moment que l’U.E.H., dans son ensemble, témoignera d’un comportement conforme à la logique universitaire et parallèlement, une requête de contribution à un fond consacré à la recherche découlerait d’un partenariat basé sur la promotion d’intérêts devenus communs.

  • L’U.E.H. et la coopération interuniversitaire

En Médecine, la coopération universitaire régionale, internationale et même nationale se révèle, parfois, être une prérogative individuelle. Quoi de plus simple que les « ouvertures et disponibilités » soient divulguées et ou transmises pour suivi.

Pourquoi notre Département ne peut – il pas établir des rapports directs (bien entendu avec accord du Décanat) avec ceux d’outre-mer ? Ne sommes-nous pas mieux placés pour identifier les besoins et faiblesses de notre Département ? Ne somme nous pas mieux placés pour apprécier l’importance ou la valeur d’une offre ou d’une assistance offerte par le monde académique extérieur. Ne devrait-on pas commencer par responsabiliser et intégrer les cadres à tous les niveaux, les portant ainsi à consolider leur esprit d’appartenance à l’Université.

Nous ne pensons pas que le Forum de l’AUF soit sous-utilisé, mais plutôt victime d’une « conception patriarche » des rapports avec l’outre-mer. Il faudrait peut-être que l’AUF ou tout autre organisme du genre, puisse identifier les interlocuteurs concernés et leur adresser via leur Décanat toutes éventuelles assistances ou projets disponibles. Dans l’autre sens, un projet de recherche ou toute autre démarche académique initié au sein d’un Département pourrait utiliser les canaux de communication d’un Décanat pour soumettre toute requête d’assistance à une structure ou organisme externe à l’Université.

Orientations

Nous appuyons l’énoncé des principes retenus et leur articulation dans la Mission globale de l’U.E.H.

Mais en rapport avec la formation scientifique et professionnelle, nous retrouvons des dispositions d’ordre général ignorant la réalité singulière du milieu médical universitaire.

Nous reprenons notre questionnement du début : Existe-t-il une charte, un accord ou des principes établis, donnant accès systématique à l’Enseignant en médecine à un centre hospitalier universitaire, ce centre hospitalier universitaire étant l’un de ses principaux terrains de recherche. Qu’en est-il de la définition des rapports entre l’Université et les « centres hospitalo-universitaires » ?

  • Envisager dans les travaux de la Commission de Réforme de l’Université, la définition des rapports entre la Faculté de médecine et de Pharmacie, les Centres hospitalo-universitaires, le Ministère de la Santé Publique et de la Population et le Rectorat

  • statuer sur la gestion de la Résidence hospitalière, la validation des Certificats de spécialisation, la durée et les étapes du cycle des études médicales.
  • Définir les rapports entre l’U.E.H. et les Universités privées

Plan de développement

Nous aurions souhaité que la haute Direction de l’Université puisse s’impliquer dans une approche globale de la Faculté de médecine en tant qu’institution universitaire avec des partenaires incontournables comme le Ministère de la Santé publique et de la Population avec son circuit hospitalier (centres hospitaliers pour formation spécialisée et médecins avec capacité et fonction de formateur) et les autres facultés de médecine.

Les activités de recherche de l’Enseignant en médecine, ne peuvent être des dispositions isolées.