Covid-19 et anticoagulation, faut-il faire évoluer la stratégie ?

La Covid-19 est associée à un risque élevé de complications thrombotiques de toute nature, une particularité qui distingue cette infection respiratoire des autres et contribue à assombrir son pronostic à court terme. Au programme figurent notamment micro-et macro-thromboses artérielles ou veineuses, orage cytokinique ou encore coagulation intravasculaire disséminée, le tout orchestré par un véritable état « thrombo-inflammatoire » impliquant dysfonctionnement endothélial et activation des voies de la coagulation.
De ce fait, nombreuses sont les études d’observation qui ont conclu à l’intérêt des anticoagulants à doses thérapeutiques dès que le risque thrombo-embolique semblait un tant soit peu élevé. Dans les groupes traités, la mortalité s’était avérée moindre, de même que le recours à la ventilation assistée au point que les anticoagulants sont devenus, outre la corticothérapie, l’une des options thérapeutiques privilégiées chez les patients hospitalisés en raison d’une forme sévère de la Covid-19. Leur efficacité semblait d’ailleurs couler de source.

Où l’essai randomisé brésilien ACTION incite à la réflexion

Une étude contrôlée, la première du genre dans ce domaine, incite à la réflexion sur le bien-fondé de certaines stratégies thérapeutiques bâties à l’emporte-pièce dans un contexte d’urgence sanitaire extrême. Il s’agit d’un essai randomisé multicentrique ouvert, réalisé au sein de 31 établissements hospitaliers brésiliens dans lequel ont été inclus 615 patients (âge ≥18 ans) atteints d’une forme symptomatique de la maladie suffisamment sévère pour nécessiter une hospitalisation. Les symptômes devaient être présents depuis au moins 14 jours avant le tirage au sort et une élévation significative des concentrations plasmatiques des D-dimères témoignait d’un risque thrombo-embolique élevé.

Les patients ont été assignés (1 :1) de manière randomisée pour recevoir une anticoagulation prophylactique ou thérapeutique.

Le traitement prophylactique reposait sur l’énoxaparine ou l’héparine non fractionnée. L’anticoagulation thérapeutique se faisait selon les schémas suivants : (1) patients stables (n = 304) : rivaroxaban à raison de 20 mg ou 15 mg /jour ; (2) patients instables (n = 311) : énoxaparine par voie sous-cutanée (1 mg/kg deux fois par jour) ou héparine non fractionnée par voie intraveineuse (pour atteindre une concentration d’anti-Xa comprise entre 0,3 et 0,7 UI/ml) puis rivaroxaban à doses thérapeutiques pendant 30 jours. Le critère de jugement principal reposait sur une analyse hiérarchique qui a combiné la mortalité, la durée de l’hospitalisation ou celle de l’oxygénothérapie au cours d’un suivi de 30 jours incluant la convalescence hors de l’hôpital. Les données ont été analysées dans l’intention de traiter selon la méthode intuitive du win ratio qui est le rapport entre les succès et les échecs : une valeur > 1 témoigne ainsi de l’efficacité du traitement. L’acceptabilité a été évaluée à partir des accidents hémorragiques majeurs ou non majeurs mais cliniquement significatifs dénombrés au terme des trente jours de suivi.

Réserver les doses thérapeutiques systématiques aux situations cliniques où le risque thrombotique apparaît franchement élevé

Dans la majorité des cas (n = 576 ; 94 %), les participants étaient dans un état cliniquement stable. Aucune différence intergroupe statistiquement significative n’a été mise en évidence quant au critère de jugement principal : le nombre de succès s’est élevé à 28 899 (34,8 %) avec l’anticoagulation thérapeutique et à 34 288 (41,3 %) avec l’anticoagulation prophylactique, ce qui conduit à un win ratio de 0,86 [intervalle de confiance à 95 % 0,59–1,22], p = NS). Les résultats étaient similaires chez les patients cliniquement stables et instables. Les accidents hémorragiques ont été près de quatre fois plus fréquents en cas de doses thérapeutiques, soit 8 % versus 2 % avec les doses prophylactiques ce qui conduit à un risque relatif de 3,64 [IC 95 % 1,61–8,27], p = 0,0010). La fréquence des réactions allergiques (1 %) a été similaire dans les deux groupes.

Cet essai randomisé pragmatique ne remet pas en question le traitement anticoagulant prophylactique chez les patients hospitalisés en raison d’une forme sévère de Covid-19. En revanche, ses résultats incitent à réfléchir sur les indications de doses thérapeutiques systématiques face à un risque thrombo-embolique jugé a priori élevé au vu des taux de D-dimères plasmatiques. Le rapport bénéfice/risque d’une telle stratégie semble défavorable au point qu’il conviendrait de la réserver aux situations où le risque thrombotique apparaît franchement élevé au vu de critères cliniques ou biologiques plus discriminants et plus spécifiques que les D-dimères.

Les limites de cette étude n’en méritent pas moins d’être soulignées. En premier lieu, il s’agit d’un essai ouvert, ce qui est une source de biais au travers du recueil notamment des évènements cliniques lequel a été effectué par téléphone dans les suites de l’hospitalisation. Le critère de jugement principal n’a cependant inclus que des éléments objectifs, de sorte que cette critique doit être relativisée. La très faible proportion des patients instables est une autre limite évidente : il est clair que les conclusions de cette étude ne s’appliquent qu’aux formes cliniquement stables de la maladie. Enfin, un essai randomisé ne saurait, à lui seul, conduire à des prises de position définitives : d’autres études contrôlées sont à l’évidence nécessaires pour conforter ces résultats et aboutir à des modifications des stratégies thérapeutiques actuelles qui n’en méritent pas moins d’être examinées de plus près …

Dr Peter Stratford

RÉFÉRENCE

Lopes RD et coll. : Therapeutic versus prophylactic anticoagulation for patients admitted to hospital with COVID-19 and elevated D-dimer concentration (ACTION): an open-label, multicentre, randomised, controlled trial. Lancet 2021 ; publication avancée en ligne le 4 juin. doi.org/10.1016/ S0140-6736(21)01203-4.

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