De l’insuline pour améliorer la tolérance digestive des grands prématurés ?

L’immaturité intestinale gêne la mise en route de l’alimentation entérale chez les grands prématurés [GP]. En pratique, la ration de lait des GP est augmentée en fonction de leur tolérance digestive, sous couvert d’une nutrition parentérale qui comporte des risques de sepsis et de cholestase. Pourrait-on atteindre plus tôt une alimentation entérale totale [AET] en supplémentant le lait avec de l’insuline, un facteur de croissance et de maturation de l’intestin chez le rat et le porc ? Les entérocytes du fœtus ont des récepteurs membranaires à l’insuline et le colostrum contient de l’insuline.

Un essai contrôlé randomisé, en double insu, a été entrepris en octobre 2016 dans 46 unités de soins intensifs néonatales d’Europe, des USA et d’Israël, pour évaluer l’effet de deux posologies d’insuline sur la tolérance digestive de GP de 26 à 31 semaines.

L’insuline utilisée dans l’essai est une formulation spéciale d’insuline humaine recombinante qui peut être mélangée à du lait ou délivrée directement par la sonde gastrique.

Dans deux bras de l’essai, les participants ont reçu de l’insuline à dose « faible » (400 μUI par ml de lait) ou à dose « forte » (2 000 μUI par ml de lait) pendant 28 jours ; dans le 3e bras, ils ont reçu un placébo pendant le même temps. Ils étaient enrôlés après le début de l’alimentation lactée, au plus tard à J5 ; en cas d’allaitement, ils ne recevaient pas d’insuline avant H72 compte de la teneur du colostrum en insuline. Le temps mis à atteindre l’AET, définie par une ration de lait ≥ 150 ml/kg/j trois jours de suite, a été pris comme critère de jugement.

L’essai a été arrêté pour « futilité » en avril 2018, avant la fin des inclusions prévues – 150 par bras -, une analyse intermédiaire ayant suggéré que sa puissance n’était pas suffisante pour démontrer une réduction de 1,5 jour du temps nécessaire pour atteindre l’AET. A ce moment-là, 303 GP avaient été enrôlés : 110 GP dans le bras de l’insuline à dose faible, 95 GP dans le bras de l’insuline à dose forte, 98 GP dans le bras du placébo ; et seulement 261 d’entre eux avaient terminé l’essai.

Une analyse en intention de traiter a été réalisée sur les GP enrôlés.

Dans les trois bras les GP ont des âges gestationnels médians de 29 sem. et des poids de naissance médians de 1 200-1 250 g.

4 jours de moins pour parvenir à une alimentation entérale totale

Le temps médian nécessaire pour atteindre l’AET est réduit de 4 jours dans les deux groupes de GP traités avec de l’insuline. L’AET est atteinte en 10 j avec la dose faible d’insuline (Ecart Inter Quartile 25-75 [EIQ 25-75] : 7,0-21,8 ; p = 0,03) et avec la dose forte d’insuline (EIQ 25-75 : 6,0-15,0 ; p = 0,001) au lieu de 14 j avec le placébo (EIQ 25-75 : 8,0-28,0).

Les proportions d’enfants qui atteignent l’AET au cours des 10 premiers jours de vie sont plus élevées dans les bras traités avec de l’insuline. Avec le placébo, la dose faible d’insuline et la dose forte d’insuline, elles sont respectivement de 9 %, 21 % et 25 % à J+6, de 22 %, 35 % et 37 % à J+8, et de 32 %, 48 % et 48 % à J+10 (courbes de Kaplan-Meier).

Ceci étant, les GP ont une croissance similaire dans les trois bras, avec une prise de poids de 17-18 g/kg/j, une augmentation du périmètre crânien de 0,5 à 0,8 cm par sem., et une augmentation de la taille de 1 cm par sem.

La supplémentation du lait avec de l’insuline n’a pas entraîné un surcroît d’évènements indésirables graves pendant la durée de l’essai (15 % avec la dose faible et 13 % avec la dose forte vs 20 % avec le placébo). Dans le détail, les pourcentages de sepsis tardifs et de décès sont similaires, mais le taux d’entérocolites ulcéro-nécrosantes est moins élevé avec l’insuline (6 % avec la dose faible et 5 % avec la dose forte vs 10 % avec le placébo). Les hypoglycémies ont été rares dans les trois groupes de GP et aucun enfant traité avec de l’insuline n’a produit d’anticorps anti-insuline.

L’efficacité et la sécurité d’une supplémentation du lait avec de l’insuline, suggérées par cet essai, font regretter qu’il ait été arrêté avant son terme. Les auteurs ont prévu de réaliser un nouvel essai, en incluant cette fois-ci des extrêmes prématurés (< 26 sem.), qui peuvent tirer le plus grand bénéfice de l’ajout d’insuline mais qui risquent de rendre l’analyse des résultats plus difficile en raison de leur mortalité.

En tout cas, l’insuline apparaît comme un facteur de croissance de l’intestin des prématurés, apporté par le colostrum et à plus faible dose par le lait maternel proprement dit, mais totalement absent des laits pour prématurés. Son ajout dans le lait est une idée neuve qui mérite d’être approfondie.

Dr Jean-Marc Retbi

RÉFÉRENCE

Mank E et al. Efficacy and safety of enteral recombinant human insulin in preterm infants, a randomized clinical trial. JAMA Pediatr Publié en ligne le 28 février 2022. Doi : 10.1001/jamapediatrics.2022.0020

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