La problématique des soins aux nouveau-nés.

Dr Dodley Severe

Professeur d’Université Praticien Hospitalier

Novembre 2017

UN ÉTAT DES LIEUX

Parmi les indicateurs qui témoignent de l’état sanitaire d’un pays, les taux de mortalité néonatale et infantile sont des références probantes. En Haïti, les efforts des responsables sanitaires épaulés par les partenaires internationaux à travers leurs expertises, leur support financier et matériel et un certain accompagnement en ressources humaines, ont apporté une amélioration certaine. En effet la mortalité infantile en Haïti, est passée de 105 décès pour 1000 naissances vivantes en 1990 à 54.02 en 2011, 52 en 2015. Toutefois, pour se rapprocher des taux de nos voisins immédiats comme la République Dominicaine (19,63 décès/1.000 naissances vivantes, et la Jamaïque 13,69 décès/1.000 naissances vivantes) en 2014, il y a encore du chemin à parcourir. En 2015 l’objectif à atteindre tournait autour d’une réduction de la mortalité infantile de deux tiers.  « Countdown to 2015 : tracking progress in maternal, newborn and children survival », un rapport sorti en 2008, soulignait déjà que seulement un tiers des pays engagés, dans cet « objectif du millénium », étaient sur la trajectoire appropriée. Haïti, s’est retrouvé dans la catégorie, n’ayant pas pu répondre à ces exigences du millénaire de réduction de la mortalité infantile.

Pour concrétiser cette réduction, il faut tenir compte de deux aspects fondamentaux d’un système sanitaire fonctionnel : les conditions périnatales et les conditions post natales. Ces dernières influencent le devenir de l’enfant, et pourquoi pas, celui de la société elle-même. Un système sanitaire où toute grossesse est suivie, et où la nutrition maternelle, la vaccination et la prise en charge précoce de tout processus infectieux, constituent un constant souci, ne peut que garantir une naissance équitable.

De plus, l’accueil en salle de travail, premier contact du nouveau-né avec le monde extérieur, devrait être une étape répondant aux exigences de l’adaptation extra-utérine. La période néonatale immédiate, particulièrement la première semaine de vie, charriant son lot de besoins, les uns plus spécifiques que les autres, justifierait qu’un accompagnement périnatal, et plus particulièrement néonatal, soit incontournable. Cette dernière affirmation tient compte du fait que cette mortalité infantile est tributaire à 50% de la mortalité chez les moins de 28 jours de vie. Un renforcement du concept de la prévention, tout en répondant à la nouvelle vision mondiale pour la santé, pourrait permettre au pays d’aborder la problématique de cette mortalité infantile, plus spécifiquement de cette mortalité néonatale.

Une étude que j’ai réalisé en 2012-2013 sur les causes de la mortalité néonatale en Haïti mettait en évidence, par ordre d’importance, l’impact de l’Asphyxie néonatale, des traumatismes obstétricaux et des processus infectieux.

L’importance du suivi prénatal dans la prévention d’une asphyxie néonatale, d’un traumatisme obstétrical et d’un processus infectieux, n’est plus à démontrer. Pour y arriver, la stratégie idéale comprend forcément une organisation rationnelle des soins aux nouveau-nés.

Le nouveau-né (même né à terme), rappelons-le, est un être délicat, susceptible de subir l’influence des conditions inhérentes non seulement à la période fœtale, mais aussi à la période néonatale précoce et même à la période néonatale tardive. En dehors des étapes et du profil d’un suivi prénatal optimal, il faut aussi se pencher sur un environnement approprié et adapté pour l’accueil de ce bébé. Malgré les difficultés structurelles et les contraintes économiques, il est important que ce milieu soit conforme aux exigences de cette adaptation extra-utérine. Aucune structure sanitaire, indépendamment de l’échelon considéré, ne devrait être mise sur pied sans tenir compte des principaux risques auxquels sont exposés ces nouveau-nés.

Au-delà de la salle de travail avec « son coin bébé », où l’on retrouve habituellement :

  1. Une table ; il faudrait de préférence une table chauffante et inclinée ; certes le ventre de maman est à prendre en compte,
  2. Un appareil pour ventilation manuelle avec masques ; il faudrait penser à disposer d’un nombre suffisant, de taille proportionnelle avec ballon de volume approprié (ambu bag avec ballon de 30ml), et réservoir d’oxygène attaché, en fonction du nombre d’accouchements.
  3. Des poires ; il faudrait s’assurer qu’elles sont fonctionnelles et en quantité suffisante (nombre basé sur le taux d’accouchements, certes réutilisables après « stérilisation appropriée »),
  4. Des bracelets pour l’identification
  5. Des ficelles pour le cordon ombilical ; idéalement il faudrait généraliser l’utilisation des clamps de Barr.

DES OBJECTIFS À ATTEINDRE.

La toile de fond de la structure d’accueil néonatal ne devait pas se résumer à la description susmentionnée du « coin bébé ». Il faut aussi, dans l’optique de vouloir faire face à cette réalité néonatale nationale, insister sur l’importance des points qui suivent :

  1. La notion de continuum des soins néonataux
  2. La gestion ciblée des situations anormales
  3. L’opérationnalisation des corollaires de la prise en charge néonatale

  1. La notion de continuum des soins néonataux

Les soins aux nouveau-nés s’échelonnent de la première seconde de vie au 28ème jour de vie. Dans notre étude sur les causes de la mortalité néonatale en Haïti, 65% des nouveau-nés décédés ont bénéficié d’une quelconque forme d’assistance respiratoire à la naissance. Jusqu’à date toutes les interventions visant à prendre en charge le nouveau-né en situation difficile, sembleraient se résumer à la réanimation néonatale et se retrouveraient partie prenante des protocoles de soins materno-infantiles. Ces dites interventions sont intégrées et se référent plus précisément à la période de la grossesse et à l’accouchement. Le devenir de ce nouveau-né réanimé n’est pas toujours questionné, alors que les troubles métaboliques (particulièrement) ou encore les retombées des conditions ayant nécessité cette réanimation (hémorragie intracrânienne, encéphalopathie hypoxique ischémique) ne se manifesteront pas forcément au cours des premières 24 heures. Cette même étude nous a aussi permis de confirmer que la majorité des décès de nouveau-nés (74.9%) survenaient au cours de la période allant du 2ème au 7ème jour de vie. Dans les différents protocoles établis, cette tranche d’âge est plutôt négligée, la référence étant la « Pédiatrie », laquelle va s’intéresser surtout à ceux âgés de plus de 4 à 6 semaines de vie.

Ce continuum devrait être pris en compte dans la gestion de l’accueil du nouveau-né au niveau des différents échelons. Une reprise de la respiration spontanée après une réanimation, même limitée à la simple ventilation artificielle, ne devrait pas conclure la prise en charge d’un nouveau-né dont l’APGAR à la naissance ne répondait pas aux normes. La référence de ce dernier, vers un niveau supérieur, devrait être systématique. Cette référence est également obligatoire pour un nouveau-né prématuré ou de petit poids, apparemment sain ; une surveillance au cours des prochaines 48 heures, s’impose.

  1. La gestion ciblée des situations « anormales »

Tout prestataire de soin, impliqué dans les soins aux nouveau-nés, devrait être imbu des notions de base ou des éléments clés, permettant l’identification des différentes tableaux cliniques rencontrés au cours de cette période (0 -28 jours). La PCIME néonatale, certes y fait une certaine référence, cependant l’emphase sur l’entrainement clinique, traitant des différents problèmes de cette fragile période, est incontournable. De l’agent communautaire au Médecin, en passant par le personnel Infirmier et les Médecins en Service Social, l’observation clinique demeure le principal recours dans la prévention des problèmes néonataux. Ce prestataire de soins, de même que cet agent communautaire devraient être en mesure d’identifier un ictère, une cyanose, une pâleur, une posture anormale. Face à chacune de ces situations : l’ictère et la coloration des urines, la cyanose au niveau des lèvres, une pâleur associée à une déformation du crâne, pour ne citer que celles-là, le comportement doit être bien orienté et les dispositions à prendre, conformes à des protocoles de prise en charge de nouveau-né.

Nous n’aborderons pas dans ce document le rationale :

  1. Des médicaments spécifiques (adrénaline, bicarbonate, vitamine K) à la période néonatale,
  2. Des types précis de soluté (tel que le dextrose à 10%),
  3. Du matériel incontournable (tel que le « burethrol » avec microgouttes)
  4. De la disponibilité dudit matériel, en fonction de l’échelon considéré.

Cependant, il faut faire ressortir la nécessité de la promotion, et même de la vulgarisation de la notion de prise en charge médicale. Cette dernière, obligatoirement, ne serait être autre que l’exécution de ces dits protocoles (de prise en charge), bien élaborés et prenant en considération la réalité du terroir.

Le concept de l’urgence néonatale est à soutenir. Certaines situations, vont faire appel à une prise en charge plus agressive : un syndrome d’inhalation méconiale nécessitera l’apport de l’Oxygénothérapie ; les convulsions néonatales imposeront la manipulation des anticonvulsivants…

Le système sanitaire haïtien n’est pas à l’heure de la pompe à infusion pour une gestion rationnelle de l’apport liquidien, mais devrait parvenir à la systématisation de l’utilisation du burethrol pour tous les cas nécessitant une hospitalisation. L’orthodoxie dans l’oxygénothérapie (mélange d’air et oxygène en lieu et place de « l’oxygène pur ») ne peut s’appliquer qu’avec l’adoption de l’oxygénothérapie sur prise murale (en lieu et place des bonbonnes).

Cette gestion ciblée nécessitera, forcément un certain « environnement ». L’accès à ce dernier ne pourra certainement pas être disponible à tous les échelons. Les systèmes de référence et de contre référence seraient ainsi influencés par l’existence ou non, de ce dit « environnement ».

  1. L’opérationnalisation des corollaires de la prise en charge néonatale

La mère du nouveau-né réanimé à la naissance, celle du nouveau-né prématuré (même sain) ou tout simplement du bébé né après une section césarienne pour disproportion céphalo-pelvienne, très souvent, dispose de très peu d’information sur les conditions de la naissance de son bébé. Le problème serait-il inhérent au niveau du déficit de « circulation » de l’information ou serait-il dû au fait que cette mère n’est pas toujours accessible ? L’hôtellerie, devrait être un élément incontournable de toute structure accueillant le binôme mère-enfant. Les coutumes nationales, qui veulent que le parent soit toujours à proximité de son patient, entrainent un état de salubrité questionnable avec pour retombées immédiates, le risque nosocomial. Cependant la présence (bien gérée) du parent pourrait même contribuer, à la réussite du traitement institué, sans oublier la garantie de pouvoir mettre l’emphase sur la promotion de l’allaitement maternel.

Une constance dans la disponibilité de molécules nécessaires aux différents protocoles de prise en charge néonatale est obligatoire. Une pharmacie incorporée à cette structure d’accueil néonatal, aurait un contenu conforme aux directives thérapeutiques adoptées. Ce stock de base pourrait comprendre, entre autres :  

  1. Du Dextrose à 10% et du Dextrose in Water à 5% in NaCl à 0.225%,
  2. Des intracath 22 et 24,
  3. Des burethrols avec microgouttes,
  4. Des sacs collecteurs d’urine (des deux sexes),
  5. Des tubes de levin,
  6. Des cathéters ombilicaux,
  7. Sans oublier des seringues (2,5,10ml) et autres matériels fongibles

Bien entendu, la disponibilité du matériel serait en nette articulation avec le niveau d’intervention. Le premier échelon devant être en mesure de faire l’observation clinique appropriée et devrait conditionner le patient pour la référence vers le niveau supérieur (cela pourrait être une référence effectuée après la mise en place d’un tube de levin pour dégager l’estomac ou après la pose d’un sac collecteur pour apprécier l’état hémodynamique, sans oublier la possibilité d’effectuer ce transfert après la pose d’un soluté…).

Certains matériels non fongibles devraient pouvoir être stérilisés selon les normes et selon une programmation bien établie, assurant ainsi la disponibilité constante du matériel concerné (les masques pour Ambu…).

Les investigations para cliniques ne devraient pas être une vue de l’esprit et ceci quel que soit l’échelon concerné. Un espace laboratoire, adjacent à la structure néonatale est une nécessité. La bactériologie n’étant pas disponible au niveau de certains échelons, il faut tout au moins rendre accessible une banale coloration gram. La réalisation de l’hémogramme et du groupe sanguin, sur tout le territoire, devrait être systématique. Les possibilités diagnostiques plus avancées (réalisation des gaz du sang…) seraient fonction du niveau d’intervention.

L’imagerie est aussi un besoin. Il serait plutôt souhaitable qu’en fonction du niveau de soins, l’accès à différents types d’investigation soit garanti. Un appareil mobile (ou portatif) permettrait de réduire les risques d’augmentation de la consommation en oxygène du nouveau-né présentant un état respiratoire non satisfaisant, par des manipulations intempestives.

Le suivi du bébé, au cours des premiers mois de vie, permettrait de déceler les anomalies développementales et les éventuelles séquelles des périodes difficiles. Il serait idéal de permettre aux parents des « anciens hospitalisés » de partager leur expérience avec les nouveaux venus. Cet exercice rentrerait non seulement dans le cadre de la diffusion des informations (ici par partage des conseils et principes inculqués lors de leur séjour au niveau de l’Unité de soins), mais aussi dans la vulgarisation des notions de suivi. L’impact de cette « consultation externe » serait proportionnel à sa localisation par rapport à cette Unité de soins.

La vaccination, pilier de toute politique de prévention, serait l’élément primordial de ce suivi. Une emphase sera portée sur la diète adaptée aux conditions socio-économiques de la clientèle et aux besoins de l’organisme du petit patient.

UN IDÉAL POUR LA PÉRÉNNITÉ 

Structurellement, les soins aux nouveau-nés se traduiraient par la mise sur pied d’une Unité de Néonatologie avec des spécificités physiques et matérielles où on retrouverait, tout au moins :

  1. Une salle d’urgence, accueillant le bébé malade, avec :
  2. Disponibilité pour l’oxygénothérapie (murale, permettant de réduire les risques liés à l’administration d’oxygène à 100% et de mieux gérer la consommation en oxygène de l’Unité)
  3. Disponibilité pour la Photothérapie
  4. La possibilité de mieux gérer l’apport liquidien (burethrol et microgouttes et pourquoi pas des « pousse-seringue » et/ou des pompes à infusion)
  5. Possibilité de support « ventilatoire » (au moins le système de CPAP)
  6. Possibilité de réaliser le refroidissement cérébral (cool cap)
  7. Une salle de soins intermédiaires pour la gestion des cas stables et l’introduction de l’alimentation per os (le lait maternel), avec :
  8. Dispositif approprié pour la conservation du lait maternel
  9. Dispositif pour encourager l’allaitement maternel
  10. Matériel pour assister et assurer l’alimentation au lait maternel (tube de gavage, pousse-seringue, chaise confortable…)
  11. Une salle de soins pour la continuité du traitement, l’éducation et la vaccination

Adjacent à cette Unité, il faut retrouver :

  1. L’espace réservé à l’Hôtellerie
  2. Le Laboratoire / l’Imagerie
  3. La Pharmacie/La stérilisation
  4. La Consultation externe

Dans un avenir, pas trop lointain, il faudrait initier formellement,

  1. La ventilation mécanique avec possibilité d’obtenir les gaz du sang
  2. L’accès au sang et à ses dérivés (particulièrement le plasma frais congelé)

L’échelon sanitaire sera défini en fonction de l’importance de ces différents secteurs de la structure ainsi décrite.

À noter, cependant, que chacun de ces dits secteurs devrait pouvoir se retrouver, même de façon concise, au niveau des différents échelons sanitaires avec les éléments incontournables que sont :

  1. L’accès à l’eau courante et au savon, avec :
  2. Un dispositif autonome d’approvisionnement et de stockage
  3. Des points d’accès à tous les espaces où les soins sont délivrés aux nouveau-nés
  4. La possibilité pour le séchage des mains
  5. L’autonomie énergétique avec
  6. La possibilité d’avoir l’accès à différents types de voltage (110 et 220)
  7. La possibilité d’avoir un système de secours (« inverter » et batteries)
  8. La possibilité d’exploiter une option d’énergie renouvelable (panneau solaire)
  9. La gestion du concept de stérilité environnementale en rapport avec
  10. L’accès au nouveau-né malade
  11. L’assurance d’un environnement sain

Le concept de soins néonataux, se traduirait ainsi par un modèle où :

  1. Le nouveau-né sain ou malade est accueilli dans une Institution sanitaire et bénéficie de l’encadrement structurel et matériel conforme à ses besoins.
  2. Le nouveau-né sain ou malade, bénéficie de l’encadrement d’un personnel entrainé, apte à identifier ses problèmes.

Toute société fonctionnelle doit s’assurer d’une naissance saine en vue de protéger sa génération future. La concrétisation du modèle décrit plus haut peut se réaliser à partir du moment où l’importance des conditions optimales entourant la naissance sont admis par tous. Les retombées d’un accueil inapproprié à la naissance, au-delà des douleurs infligées aux parents, obligent une nation à se priver des services d’un futur citoyen et peut entrainer une assistance onéreuse.